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Le Dernier des Juifs. Un film de Noé Debré

 

Après une très belle carrière de scénariste pour de grands films dont la Crème de la crème de Kim Chapiron, le Brio d’Ivan Attal, Stillwater de Tom MCCarthy, Le Prince oublié de Michel Hazanavicius et la liste est loin d’être exhaustive… Noé Debré signe son premier long métrage en temps que réalisateur. Un film plein d’humanisme, tout en nuances et plein d’humour. Voici son interview et celle d’Agnès Jaoui. 

 
 

Synopsis : Bellisha a 27 ans et mène une vie de petit retraité, il va au café, fait le marché, flâne dans la cité...Il vit chez sa mère Giselle, qui sort très peu et à qui il fait croire qu'il est solidement intégré dans la vie active. Le vent tourne quand Giselle s'aperçoit qu'ils sont les derniers juifs de leur cité. Elle se convainc qu'il faut qu'ils partent eux-aussi.
Bellisha n'en a pas très envie mais pour rassurer sa mère, il lui fait croire qu'il prépare leur départ. 

 

Catherine Merveilleux : Quelle est la signification du titre Le Dernier des juifs ? Est-il inspiré par le livre éponyme de Jacques Derrida ? Le dernier des Juifs est-il le pire des Juifs ou le dernier Juif, celui qui reste quand tous les autres sont partis ?

 

Noé Debré : Effectivement le titre a les deux connotations : Les Juifs ont quitté leur maison, leur quartier, leur pays, lors de la Shoah, lors de la Guerre d’Algérie. Ce que rappelle la chanson d’Enrico Macias à la fin du film. Ils sont victimes d’une malédiction, celle du Juif errant. Ils sont condamnés à fuir, ils sont condamnés à l’exode… C’est aussi actuellement le cas en France. Dans mon film, le héros Bellisha s’aperçoit avec stupeur qu’il est le dernier Juif de sa cité mais il est aussi le dernier des Juifs, c’est à dire le pire des Juifs. C’est un mauvais Juif car il n’est pas pratiquant, il ne mange pas casher. Il lui arrive même de manger hallal. Il ment. Il raconte des histoires à sa mère. Il est même un peu mytho et lorsqu’il envisage à un moment de partir en Israel et de faire son allia, il n’a pas du tout envie d’entrer dans une Yeshiva ou de faire son service militaire. Il ne répond pas aux injonctions identitaires qui lui sont faites.

 

 

Catherine Merveilleux : Il n’est effectivement pas très orthodoxe. Il a même des relations sexuelles avec une jeune femme musulmane, mariée de surcroît.

 

Noé Debré : Bellisha vit seule avec sa maman Giselle incarnée par Agnès Javoui. Je ne voulais pas faire de lui un fils à maman, un fils qui a une relation œdipienne avec sa maman. Il a une vie sexuelle où il est deux fois transgressif. Il couche avec une musulmane. Première transgression. Elle est mariée. Deuxième transgression.

 

Catherine Merveilleux : Votre film est d’une actualité brûlante, surtout depuis le 7 octobre. Le titre coup de poing interpelle et ne laisse pas indifférent. Est-il prémonitoire ? Se pourrait-il qu’un jour, au train où vont les choses que tous les juifs soient obligés de fuir la France et leur quartier ? Le titre renvoie à une angoisse existentielle dans l’inconscient populaire collectif de la communauté juive après la Shoah, les tentatives d’extermination, les pogroms, l’antisémitisme endémique et les atrocités perpétrées le 7 octobre. 

 

Noé Debré : Dans mon film dont le scénario a été écrit avant le 7 octobre, je voulais montrer une réalité mais pas sous une forme dramatique. Mon film est une comédie où je montre qu’il y a aussi des personnes humaines positives, malgré leurs paradoxes. L’antisémitisme des copains de Bellisha n’est pas un antisémitisme systémique radical bien ancré en eux. Ils disent qu’ils n’aiment pas les Juifs, mais ils font des exceptions lorsqu’ils connaissent la personne. Ils disent à Bellisha : «On n’aime pas les juifs mais toi on t’aime. bien». Les voisines de la Cité lorsqu’elles apprennent que la maman de Bellisha est morte apportent des gâteaux et des plats qu’elles ont cuisinés à son fils. 

 

Agnès Jaoui : Si l’on écoute les infos, l’on n’entend que les faits de violence, que les manifestations de haine. Par contre, personnellement je reçois souvent des témoignages de sympathie. Par exemple, un chauffeur de taxi vient de me dire qu’il m’appréciait en tant qu’actrice et qu’il était dommage que j’ai quitté l’Algérie. «Vous n’auriez jamais dû partir m’at-il dit». Je sais aussi qu’au cimetière de Saint Eugène, la tombe de Roger Hanin est respectée et vénérée.

 

 

Catherine Merveilleux : Vous ne filmez pas d’agressions physiques, verbales. Vous ne montrez pas d’actes de violence. Pourquoi ?

 

Noé Debré : Dans le film, il y a des actes d’antisémitisme, notamment les tags antisémites et le fait que l’électricien refuse d’intervenir dans l’appartement de Bellisha et de Giselle parce qu’il y a une Mesouzah accroché au chambranle à côté de la porte. Je le montre mais je voulais aussi montrer que tout n’était pas négatif.

 

Catherine Merveilleux : Vous désamorcez la haine et la violence par un humour irrésistible et dévastateur notamment lorsque pour illustrer «Le Vivre ensemble» la municipalité de sa ville de banlieue propose à Bellisha de participer à une cérémonie œcuménique avec un prêtre et un immam alors que la synagogue et les commerces cashers sont fermés et qu’il est vraiment le dernier juif de son quartier. C’est une critique du politiquement correct ?

 

Noé Debré : Ces cérémonies œcuméniques existent. Bellisha déclare alors, non sans humour : «A quand un jumelage avec Jénine et une partie de balle au prisonnier avec le Hezbollah ?»

 

Catherine Merveilleux : A un autre moment un copain de Bellisha déclare à la bande de copains en prenant Bellisha par le cou : «Je tiens un Juif, je vais l’égorger et j’irai au Paradis.» Cela désamorce une certaine forme de violence.

 

Noé Debré : Ce sont des propos que l’on m’a rapportés et qui ont réellement été prononcés. Je pense effectivement que l’humour désamorce une certaine forme de violence.

 

Catherine Merveilleux : A propos d’humour, pourquoi la jeune femme musulmane avec qui Bellisha a des relations sexuelles lui demande t-elle de lui dire des choses «sales» en hébreu ? 

 

Noé Debré : C’est parce qu’étant le dernier des Juifs, il est devenu en quelque sorte exotique…

 

Catherine Merveilleux : Votre acteur Michael Zindel apporte une touche onirique au film. 

 

Noé Debré : Le rôle a été écrit pour lui. Michael apporte effectivement une touche onirique, poétique et humoristique au film. C’est un acteur lunaire qui porte le film. A plusieurs reprises, il fait penser à Bellini dans La Vie est belle, notamment lorsqu’il cache les tags antisémites à sa mère et lorsqu’il lui dissimule le fait que l’électricien n’a pas voulu intervenir dans leur appartement parce qu’il y avait une Mezouzah apposée à côté de la porte. Il y a en lui du Buster Keaton et du Charlie Chaplin. 

 

Catherine Merveilleux : Le lien avec la mère est très fort. 

 

Agnès Jaoui : C’est un beau personnage. J’ai eu beaucoup de chance de pouvoir l’interpréter. Giselle est chaleureuse, pleine d’amour. Elle a élevé seule son fils. Le père religieux est absent. Elle veut partir mais ne sait pas où. Elle veut bien faire mais n’est pas très rationnelle. Elle veut que son fils se marie mais ses critères ne sont pas clairement définis. Elle a des propos racistes mais en fait, elle se sent à l’aise au milieu des Arabes qui lui rappellent l’Algérie. Son lien avec son fils est très fort.

 

Un film positif plein d’humanisme et d’humour. A voir.

 

Réalisateur : Noé Debré

 

Scénario et dialogues : Noé Debré

 

Casting : Michael Zindel, Agnès Jaoui, Solal Bouloudnine, Eva Huault

 

Catherine Merveilleux

 

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