Les deux hommes avaient déjà travaillé ensemble pour monter la Flûte enchantée de Mozart. Collaboration qui fut couronnée de succès et qui fut plébiscitée par un public conquis qui attendait avec
gourmandise une suite à cette belle réussite. C’est Carmen qui fut choisie car c’était sans nul doute l’opéra le plus capable de rassembler un très large public issu d’horizons divers et des
spectateurs parfois néophytes en matière d’opéra. Richard Martin a, en effet, après une carrière de comédien indépendant, construit un théâtre, le théâtre Toursky au pied des tours de l’un des
quartiers, les plus défavorisés de Marseille et s’est fixé l’utopiste mission de faire tomber les barrières culturelles et sociales, de se battre pour présenter à tous les publics, les courants
majeurs de la création théâtrale contemporaine ou classique française ou internationale, en défendant toujours farouchement, contre vents et marées, l’idée que l’Art peut faire évoluer l’implacable
déterminisme social et lutter contre l’Obscurantisme, la Barbarie et l’Egocentrisme. Pour lui, l’artiste est un passeur d’idées, un messager qui se bat contre l’intolérance, avec pour seules armes de
beaux textes, son talent et son esprit créatif. Le saltimbanque peut ainsi dénoncer l’intolérable, déciller les yeux des êtres englués dans une idéologie perverse et destructrice, embellir la
vie des plus humbles et des laisser pour compte, en la parant de lumière, de beauté et de clairvoyance. Il fait ainsi de chacun des spectacles qu’il met en scène un feu d’artifice, un plaisir pour
les yeux et un rempart contre les ténèbres de l’obscurantisme qui nous font régresser aux balbutiements de l’humanité agitée de soubresauts de violence, de haine et d’intolérance.
Le Carmen de Richard Martin est présenté dans sa version originale, qui n’avait plus été jouée depuis sa création en 1875. L’action de Carmen est cependant transposée dans le cadre de la Seita dans
les Quartiers Nord de Marseille. Ce qui n’a rien d’une hérésie puisque originellement Carmen travaillait dans une usine de cigarettes. C’est même un retour aux sources car l’histoire inspirée d’une
nouvelle de Prosper Mérimée, relate les amours tumultueuses d’une belle bohémienne farouche et convoitée qui est cigarettière.
«L’amour est enfant de Bohème et n’a jamais, jamais connu de lois.» Carmen par essence est passionnée, inconstante, fougueuse, elle ne suit aucune loi, aucune règle, elle ne suit que son désir,
que ses pulsions. La Carmen de Richard Martin est fascinante. Elle reste sulfureuse, égocentrique, vénéneuse et dangereuse, mais en plus elle devient une femme éprise de liberté qui entend profiter
de son corps, sans se laisser assujettir. Elle a tout d’une révolutionnaire, d’une anarchiste.
Le casting est remarquable et très qualitatif. C’est la mezzo-soprano Marie Kalinine qui interprète le rôle phare de Carmen, Luca Lombardo, ténor, est un Don José acceptable, crédible, digne d’être
pris en pitié, tant son amour sincère est bafoué. Quant à Cyril Rovery, baryton, beau et musclé, il ne manque pas de panache. Il a une voix superbe et il incarne un Escamillo très crédible et très
séduisant. La troupe impressionnante par le nombre et la qualité de sa prestation est animée d’une énergie vitale communicative et le spectateur ressort de ce spectacle vivifiant, ressourcé, plein
d’allégresse et de peps.
Un spectacle grandiose. Tout public. Un vent de liberté. Une apothéose qui devrait tourner au niveau national et international car il le mérite. Pour le moment, seules les deux représentations
données au Dôme ont été programmées, mais il est inconcevable que tout ce travail, tout cet investissement, toute cette qualité ne débouchent que sur deux représentations. Ce serait un tel gâchis et
tellement dommage !
Catherine Merveilleux
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